À la fenêtre ouverte

Exporter au format pdf Syndiquer le contenu

Pour naviguer, utilisez les touches droite et gauche ou les chiffres sous le texte.

1

Un vieil homme, néanmoins peureux, s’arrêta sur le banc du Gouverneur :

― Ils tuent nos jeunes ! dit-il.
Salomon regarda pour commencer vers la gauche, ne le vit pas, vers la droite, le vit.
― Ils essaient de tuer tout le monde, répéta le vieil homme charitable, quoique pas si vieux.  Ils laminent la jeunesse. Est-ce que vous comprenez la signification du mot ?
― Oui.
― Mais non. Ils éreintent les jeunes. Allez voir là-bas. Il n’y a pas pire. Mais vous aussi. Ils vous ont complètement écrasé. Ils vous ont fait ça, là. Si j’avais votre âge, ce ne seraient pas des manifestations pacifiques, excusez-moi. Vous êtes tous bien courageux. Mais c’est fini. Ils ont tué cette ville. « La Victorieuse ». « La Victorieuse ».

2

― Ptère ?
― Ptère, c’est « La Victorieuse ».
― Mais on vend encore des billets de train pour Ptère.
― Je ne sais pas. Mais partout ils disent : « dites "La Victorieuse", ne dites pas "Ptère". "Ptère c’est le nom du passé, bovillon-souquenille-serpillère." » C’est paraît-il impossible.
― Ils n’ont pas aussi changé les noms de rue ?
― Les noms de rues, les places. On ne s’y reconnaît pas si on est distrait.
― Par exemple, cette rue…
― Par exemple, cette rue !
― Comment elle s’appelle-t-elle ?
― Demandez ! Ça s’appelait… Vous ne savez pas ?
Le vieil homme avait l’œil peureux, soupçonneux.
― Quel âge avez-vous ?
― Vingt ans.
― C’est l’âge à questions.
― Non, je me demandais si cette rue s’appelait comme ça depuis longtemps.
― Ce n’est pas très vieux. Ils ont pris Ptère comme une banane et, un, pour les gros singes, c’est « la Victorieuse », et deux, pour les petits, c’est « Quartier-l’Espoir » ; pour les ni l’un ni l’autre, c’est selon les moments, l’un ou l’autre. On appelait ça Ptère. Je suis de l’Espoir, ma femme, on s’est séparé, vit de l’autre côté du palier, à la Victorieuse, à cause de son héritage. Les postiers savent ça.
― Incroyable.
― Mais croyez-le, mon enfant. Si vous ne saviez pas ça, pourquoi manifester ?

3

― Je ne sais pas encore.
― Comment ça ?
       ― C’était…
― Ils massacrent les jeunes.
       ― J’ai mal à la tête.
― Ils visent la tête, après il faut manger.
       ― J’ai aussi envie de dormir.
― Oui, d’où vous venez ?
       ― De Vièbe.
― Où, Vièbe ?
       ― La Faucille.
― Je me souviens très bien. Ils ne vous ont pas vendu...
       ― Vendu quoi?
― le billet-retour !
       ― Je n’ai pas demandé.
― Ils ne vous en auraient pas vendu. Vous avez l’impression de vous être trompé d’endroit. Ils vous rendent tout étranger.
       ― Mais l’éducation…
― L’éducation nous aidera, tu as raison ! Pour moi, c’est trop tard.
       ― C’est pour ça que nous nous battons.
― C’est la noble cause.

À suivre...